« Quand Washington ferme le robinet, Pékin invente sa propre source. »
Non, ce n’est pas un nouveau proverbe chinois.
Mais c’est bien le résumé de la stratégie actuelle de Pékin face aux sanctions américaines dans la course à l’intelligence artificielle.

Alors que la croissance chinoise ralentit, certaines entreprises de la tech connaissent une envolée spectaculaire.
Le concepteur de puces Cambricon, soutenu par l’État, a doublé sa valeur en quelques mois, après avoir déjà quadruplé en 2024.
Même scénario chez Alibaba, qui vient d’annoncer un investissement massif de 46 milliards d’euros pour renforcer son infrastructure IA.

Et depuis janvier, un nom fait le tour du monde : DeepSeek, l’assistant conversationnel chinois, aussi performant que ChatGPT… et nettement moins cher.


Le “rattrapage chinois” : entre volonté politique et contrainte technologique

Depuis 2022, les États-Unis ont imposé une série de restrictions sur les semi-conducteurs.
L’objectif est clair : ralentir la montée en puissance de la Chine dans le domaine stratégique des puces IA, cœur du calcul et de la puissance de traitement.
Nvidia, jusque-là incontournable, a vu ses ventes bridées puis interdites vers la Chine.

Mais Pékin n’a pas reculé.
Au contraire, le gouvernement a ordonné à ses entreprises de ne plus acheter de produits américains et de miser sur la production locale.
Un geste politique fort — et un signal de confiance retrouvé dans la capacité du pays à produire ses propres technologies.

Le problème, c’est que la Chine ne maîtrise pas encore la finesse de gravure nécessaire pour rivaliser avec les leaders mondiaux.
Là où TSMC (Taïwan) produit déjà des puces gravées en 3 nanomètres, et où Samsung prépare le 2 nm, le géant chinois SMIC plafonne encore à 7 nm.

Ce retard s’explique par l’embargo américain sur les machines de lithographie ultraviolette extrême (EUV), fabriquées par le néerlandais ASML.
Sans ces équipements, impossible d’atteindre les performances de calcul des puces américaines.


Ingéniosité et pragmatisme : la réponse chinoise

Plutôt que de subir, la Chine invente d’autres chemins.
Les ingénieurs locaux multiplient les contournements technologiques :

  • recours à des architectures plus légères, comme le mixture of experts, pour réduire la puissance de calcul nécessaire ;
  • réutilisation et optimisation des stocks de processeurs Nvidia acquis avant les restrictions ;
  • développement de nouvelles méthodes de gravure par vaporisation laser, une alternative maison à la lithographie EUV.

Et surtout, la Chine joue sur ses forces structurelles :

  • une population numérique gigantesque, source d’une quantité de données inégalée ;
  • des ingénieurs capables d’adapter et d’optimiser avec des moyens limités ;
  • et un État stratège, qui pousse chaque administration, chaque entreprise publique, à intégrer l’IA.

Dans certaines villes comme Wuhan, les taxis autonomes pilotés par l’IA de Baidu circulent déjà sur de vastes zones.
À Canton, des PME du textile utilisent DeepSeek pour créer des designs de vêtements en temps réel pour Shein.
L’IA s’infiltre partout, du cloud computing aux ports industriels.


DeepSeek : le déclencheur d’un nouveau cycle

Le lancement de DeepSeek en janvier 2025 a agi comme un électrochoc.
En quelques semaines, l’application a prouvé qu’un acteur chinois pouvait rivaliser avec OpenAI… sans accès complet aux technologies américaines.

Surtout, son choix de l’open source a bouleversé le marché :
chacun peut utiliser son modèle, le modifier et l’adapter à ses besoins.
Un modèle d’IA ouvert, pragmatique, soutenu par l’État : c’est une arme de diffusion massive.

“Un consensus s’installe localement sur le fait que le pays parvient à accélérer malgré tout”, observe Bo Zhengyuan, analyste à Shanghai.


2030 : la course à l’autosuffisance technologique

La Chine s’est fixé un cap : contrôler un tiers de la production mondiale de semi-conducteurs d’ici 2030.
Et malgré les obstacles, le pays avance méthodiquement.
Les achats d’équipements étrangers ont explosé (+38 milliards de dollars en 2024), et Huawei tente désormais de créer sa propre ligne de production de puces.

L’ambition est claire : rompre toute dépendance envers l’Occident.
Et si la Chine parvient à maîtriser cette autonomie, la bascule pourrait être historique.


Mon regard d’expert du web

Depuis trente ans, j’observe l’évolution du numérique : ses cycles, ses ruptures, ses illusions.
Ce que je vois aujourd’hui, c’est une reconfiguration géopolitique de la technologie.

L’intelligence artificielle n’est plus une simple innovation :
c’est un enjeu de souveraineté, où le calcul devient pouvoir.
Les États-Unis possèdent encore l’avance technologique, mais la Chine a la volonté, la masse et la discipline pour combler l’écart.

L’IA n’est plus un terrain d’expérimentation, c’est une course à l’indépendance.
Et comme souvent dans l’histoire du web, ceux qui apprennent à faire sans auront, demain, un temps d’avance.


Georges Corre – Consultant web & SEO
cor.Re – Regards numériques sur le monde