Des jeunes piégés dans l’industrie mondiale de la cyberfraude

Dans mon précédent article, je parlais du Pig Butchering, cette arnaque qui séduit, rassure et dépouille ses victimes avec une précision industrielle.
Mais ce que l’on découvre aujourd’hui, c’est que cette industrie du mensonge ne s’arrête pas à l’écran : elle recrute, séquestre et exploite des êtres humains pour alimenter ses “fermes à escroqueries”.

Et le Cambodge est devenu l’un des centres névralgiques de ce système.


Des offres d’emploi numériques qui virent au cauchemar

Tout commence par une promesse.
Des annonces circulent sur Telegram, Facebook ou TikTok : “poste dans le digital, bon salaire, logement fourni”.
Pour beaucoup de jeunes d’Asie — en particulier en Corée du Sud, en Thaïlande ou à Taïwan —, c’est l’espoir d’un avenir plus stable dans un contexte économique tendu.

Mais une fois arrivés au Cambodge, les recrues découvrent la réalité : passeports confisqués, menaces physiques, travail forcé.
Elles sont alors intégrées à de vastes centres d’appels gérés par des réseaux criminels sino-cambodgiens.
Leur mission : hameçonner des victimes à l’étranger, souvent sur des plateformes de trading ou de cryptomonnaies frauduleuses.

Ces “cybercentres” fonctionnent comme de véritables prisons numériques, où chaque message envoyé est dicté par un script et surveillé par des gardes armés.


Un phénomène en pleine explosion

Entre janvier et août 2025, plus de 300 ressortissants sud-coréens ont été enlevés ou piégés au Cambodge après avoir répondu à ces fausses offres.
Ils n’étaient qu’une poignée deux ans plus tôt.
La mort tragique de Park Min-ho, un étudiant de 22 ans retrouvé sans vie près de Kampot, a profondément choqué l’opinion sud-coréenne.
Son histoire illustre la brutalité d’un système où les vies humaines sont consommées comme des ressources jetables.

Le gouvernement sud-coréen a depuis envoyé une mission diplomatique pour rapatrier des dizaines de victimes.
Mais derrière les opérations de façade, le problème reste structurel : le Cambodge tolère, voire protège certains de ces réseaux.


Une corruption qui empêche toute solution durable

Officiellement, Phnom Penh affirme lutter contre la cybercriminalité.
Des milliers d’arrestations auraient eu lieu, et un comité spécial a été créé pour coordonner la lutte contre la traite d’êtres humains.
Mais les ONG, notamment Amnesty International, dénoncent une réponse purement symbolique.

La raison est simple : les principaux acteurs de ces trafics sont liés au pouvoir économique et politique.
Parmi eux, Chen Zhi, homme d’affaires sino-cambodgien et conseiller du Premier ministre, récemment sanctionné par les États-Unis pour fraude en ligne et blanchiment de milliards de dollars en cryptomonnaies.

Tant que ces liens subsisteront, aucun démantèlement durable ne sera possible.


Un système global, une mécanique identique

Ce qui se passe au Cambodge rejoint ce que j’expliquais dans mon précédent article sur le Pig Butchering.
La mécanique est la même :

  • on appâte par la promesse (amour, richesse, emploi) ;
  • on enchaîne par la confiance ;
  • puis on détruit la victime, financièrement ou physiquement.

Ces escroqueries ne sont plus seulement des délits financiers : ce sont des structures économiques mafieuses, mondialisées, organisées et pilotées depuis des zones franches du crime.

Les victimes occidentales qui perdent leurs économies sur une fausse appli de trading sont en réalité les cibles finales d’une chaîne d’exploitation humaine :
des jeunes Asiatiques réduits en esclavage pour arnaquer d’autres innocents, à des milliers de kilomètres.


Le web, miroir des dérives du monde réel

Depuis plus de vingt ans, j’accompagne des entreprises et des particuliers dans leur usage du web.
Et je le répète souvent : Internet n’amplifie pas seulement l’intelligence collective — il amplifie aussi la cupidité, la solitude et le crime organisé.

Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une mutation du crime : il n’est plus seulement numérique, il est humain, systémique et économique.
Le Cambodge, la Birmanie ou le Laos ne sont que les laboratoires visibles d’un phénomène mondial.


Une responsabilité collective

Nous avons tous un rôle à jouer :

  • Les États doivent exiger plus de transparence et sanctionner les pays complices.
  • Les plateformes doivent renforcer la vérification des offres d’emploi et des publicités financières.
  • Et nous, utilisateurs, devons apprendre à douter intelligemment.

Parce qu’au fond, ces histoires tragiques nous rappellent une vérité simple :
la naïveté numérique se paie toujours cher — quelque part, quelqu’un en profite.


Georges Corre – Consultant web & SEO
cor.Re – regards numériques sur le monde

D’après des faits rapportés par Philippe Mesmer et Brice Pedroletti (Le Monde, octobre 2025), et complétés par les analyses de mon article précédent : “Pig Butchering (Shāzhūpán) : une arnaque mondiale qui enferme victimes et bourreaux”.